Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/213

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La chance favorisa mon bon maître, jusqu’au moment où M. d’Anquetil, croyant le voir pour la troisième fois marquer cinquante-cinq lorsqu’il n’avait que quarante, l’appela grec, vilain pipeur, chevalier de Transylvanie et lui jeta à la tête une bouteille qui se brisa sur la table qu’elle inonda de vin.

— Il faudra donc, monsieur, dit l’abbé, que vous preniez la peine de faire déboucher une autre bouteille, car nous avons grand’soif.

— Volontiers, dit M. d’Anquetil, mais sachez, l’abbé, qu’un galant homme ne marque pas les points qu’il n’a pas et ne fait sauter la carte qu’au jeu du Roi, où se trouvent toutes sortes de personnes à qui l’on ne doit rien. Partout ailleurs, c’est une vilenie. L’abbé, voulez-vous donc qu’on vous prenne pour un aventurier ?

— Il est remarquable, dit mon bon maître, qu’on blâme au jeu de cartes ou de dés une pratique recommandée dans les arts de la guerre, de la politique et du négoce, où l’on s’honore de corriger les injures de la fortune. Ce n’est pas que je ne me pique de probité aux cartes. J’y suis, Dieu merci, fort exact, et vous rêviez, monsieur, quand vous avez cru voir que je marquais des points que je n’avais