Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/303

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ces bagatelles ; elles n’ont de prix que par l’idée que vous vous en faites.

— Oh ! m’écriai-je, l’idée que je m’en fais est affreuse, et je crains de ne pouvoir survivre à votre trahison.

Elle me regarda avec une sympathie moqueuse et me dit en souriant :

— Croyez-moi, mon ami, nous n’en mourrons ni l’un ni l’autre. Songez, Jacques, qu’il me faut le linge et la vaisselle. Soyez prudent ; ne laissez rien voir des sentiments qui vous agitent, et je vous promets de récompenser plus tard votre discrétion.

Cette espérance adoucit un peu mes chagrins cuisants. L’hôtesse vint mettre sur la table la nappe parfumée de lavande, les assiettes d’étain, les gobelets et les pots. J’avais grand faim, et quand M. d’Anquetil, rentrant dans l’auberge avec l’abbé, nous invita à manger un morceau, je pris volontiers ma place entre Jahel et mon bon maître. Dans la peur d’être poursuivis, nous repartîmes après avoir expédié trois omelettes et deux petits poulets. On convint dans ce péril pressant, de brûler les étapes jusqu’à Sens, où nous décidâmes de passer la nuit.

Je me faisais de cette nuit une idée horrible pensant qu’elle devait consommer la trahison