Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lors une considération qui se soutint par la suite, quand je pris, grâce à M. Coignard, le goût des livres.

À seize ans, je savais assez de latin et un peu de grec. Mon bon maître dit à mon père :

— Ne pensez-vous point, mon hôte, qu’il est indécent de laisser un jeune cicéronien en habit de marmiton ?

— Je n’y avais pas songé, répondit mon père.

— Il est vrai, dit ma mère, qu’il conviendrait de donner à notre fils une veste de basin. Il est agréable de sa personne, de bonnes manières et bien instruit. Il fera honneur à ses habits.

Mon père demeura pensif un moment, puis il demanda s’il serait bien séant à un rôtisseur de porter une veste de basin. Mais l’abbé Coignard lui représenta que, nourrisson des Muses, je ne deviendrais jamais rôtisseur, et que les temps étaient proches où je porterais le petit collet.

Mon père soupira en songeant que je ne serais point, après lui, porte-bannière de la confrérie des rôtisseurs parisiens. Et ma mère devint toute ruisselante de joie et d’orgueil à l’idée que son fils serait d’église.