Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/113

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habitude, songé à rien. Et, ne m’apercevant pas des difficultés, je les avais surmontées. Telle était, du moins, l’explication que hasardait M. Beaussier de ce fait inexplicable. Quoi qu’il en fût, j’étais premier, j’avais vaincu Radel, Laperlière et Maurisset.

J’étais premier. J’aimais la gloire, mais je n’étais pas fait pour elle. Je supportai mal la mienne. Son premier rayon qui me frappait d’une façon si inattendue m’échauffa la tête. Je devins fat ; par une aberration monstrueuse de ma raison, je trouvai naturel d’être le premier de ma classe, quand, en réalité, c’était hors de toute règle et de toute prévision. Soudain une pensée me vint, qui m’inonda de joie et me gonfla d’orgueil. Je songeai que je serais convié au banquet de la Saint-Charlemagne et que j’y siégerais parmi les grands et les forts au milieu des têtes des classes depuis cette troisième à laquelle j’appartenais, jusqu’à la rhétorique et aux mathématiques spéciales. Quel triomphe ! Quelle ivresse ! Le banquet de la Saint-Charlemagne n’était pas seulement illustre ; il était délicieux. Un ancien me l’avait conté ; on y servait des crèmes et des glaces ; on y buvait le vin de Champagne dans des coupes de cristal.