Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/119

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landes de papier dans le goût vif et simple des décorations de caserne et de sacristie. Il n’y avait pas de nappes ; mais les serviettes étaient pliées sur les assiettes en forme d’oiseau et ces blancs simulacres me charmèrent comme si les colombes d’Aphrodite eussent déjà volé dans mes rêves. Je fus placé entre Laperlière, dont je tenais la gauche, et Mouron, qui occupait à ma droite le bout de la table, au pied de l’estrade où M. le directeur, l’abbé Delalobe, brillait, vénérable et souriant, dans une noire couronne de professeurs. Je méprisais Mouron : Laperlière me méprisait. Nous n’échangions tous trois aucune parole. Laperlière avait la ressource de causer avec Radel son voisin de droite, tandis que nous étions assujettis, Mouron et moi, à un mutuel silence. On ne servit ni paons, ni cerfs, ni sangliers. Mais des radis et des ronds de saucisson, après une longue attente, passèrent. Je contemplais la couronne universitaire. M. Beaussier y fleurissait. Je reconnaissais ses lèvres sinueuses, ses gros favoris poivre et sel, son menton rasé de frais. Il avait l’air moins assuré que dans sa classe. Il mit sa serviette sous son menton et porta de la nourriture à sa bouche. J’en fus surpris. Je