Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une vieille savate. J’embrassai cette opinion aveuglément parce qu’elle était contraire à celle de M. Bonhomme, mon professeur. C’était pour moi une raison décisive. Oh ! Avec quel feu le vieux romantique me conviait à jeter l’épouvante sur les épiciers et les philistins et à terrasser l’hydre du perruquisme et de quelle ardeur je brûlais de le suivre et de proclamer la liberté de l’art sur le corps de M. Bonhomme terrassé.

Ma chère maman déplorait l’ascendant que M. Ribert prenait sur mon esprit. Parfois elle soupirait : « il va rendre Pierre aussi fou que lui !… » et elle comptait sur M. Danquin, mon parrain, pour combattre cette mauvaise influence. Mais il y avait peu de chance que M. Danquin exerçât quelque action sur moi : il était raisonnable. Cet excellent homme tenait M. Ribert pour fou, fou à lier. Entre nous, il croyait, avec M. Duvergier De Hauranne, que le romantisme est une maladie comme le somnambulisme ou l’épilepsie, et il rendait grâce au ciel de ce que le mal fût en pleine décroissance.

De son côté, l’antipathie que mon parrain inspirait à M. Marc Ribert était invincible