Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/127

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gothique à Clamart et dissipé en toutes sortes de prodigalités l’héritage paternel. Sa femme, morte jeune, du mal qu’on appelait encore à cette époque la consomption, lui avait laissé une fille qu’on disait d’une exquise beauté et d’une santé délicate. Il avait trop tardé à réduire son train, et on le croyait à bout de ressources. Les raisons d’inquiétude et d’affliction ne lui manquaient donc pas ; mais ceux qui, comme mon père, le connaissaient bien, le jugeaient léger, frivole, oublieux, et pensaient que, insensible à ses infortunes trop réelles, il était désespéré par goût et par inclination. C’était un romantique cuit et recuit. On n’en rencontrait plus guère alors de cette espèce. Aussi M. Marc Ribert m’inspirait-il une grande admiration. Sa parole, ses regards, ses gestes exhalaient son génie et ses rêves. Il m’apparaissait environné de sylphes, de gnomes, de lutins, d’anges, de démons, de fées. Il fallait l’entendre réciter quelque lied nébuleux ou quelque ballade fantastique. Il prétendait que le laid est le beau et que le beau est le laid et je n’hésitais pas à le croire. Aujourd’hui j’y fais plus de difficultés. M. Marc Ribert m’enseignait que Racine était une perruque et