Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/145

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exquise me semblait propre à recevoir mes confidences. À ma grande déception, Mouron, loin d’admirer et de s’émouvoir, garda durant mon récit un sourire moqueur, et, quand je lui dis la beauté d’Isabelle, il me répondit, sans nulle émotion, par un de ces agaçants jeux de mots, habituels à son esprit polyglotte :

Isabella bella dona, Isabelladone par contraction.

Il y avait des petitesses dans l’esprit de Mouron.

Le soir, pendant que, nos portefeuilles sous le bras, nous suivions ensemble, selon la coutume, la rue du Cherche-Midi et la rue des Saints-Pères, je ne pus me défendre de parler à Fontanet du seul sujet qui existât pour moi. Connaissant l’esprit ironique de mon camarade, je craignais qu’il ne se moquât de mes sentiments exaltés. Il me montra, au contraire, un visage grave et parut m’encourager par son silence à lui verser mon âme tout entière. Trouvant inopinément un cœur fait pour me comprendre, je décrivis à mon cher condisciple l’état où m’avait plongé l’apparition de Marguerite d’Écosse, blanche sous les rayons de la lune.