Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/146

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Fontanet me regarda d’un air sombre et me dit :

— Prends garde, Nozière, prends garde : la femme est perfide.

Et il ajouta avec une violence imprévue :

— Quand on a aimé une femme, quand on a foulé avec elle la mousse des bois, quand on a noué dans ses cheveux la fleur de l’églantier, quand on a reçu ses serments sous un tilleul, si cette femme est infidèle, vois-tu, c’est terrible ! On n’a plus de raison d’être dans la vie, on n’existe plus, on n’est plus qu’une ombre et qu’un cadavre.

Évidemment, ces paroles ne correspondaient pas exactement aux miennes, mais elles respiraient l’amour, et tous deux, nous alternions nos chants comme des bergers de Sicile. J’y goûtais du plaisir, non sans en éprouver de la surprise.

Jamais avant ce jour Fontanet ne m’avait entretenu de la perfidie des femmes, et jamais il n’avait parlé avec tant d’exaltation. Ses conversations ordinaires donnaient plutôt l’idée d’un esprit propre aux affaires, et je l’admirais surtout comme homme d’État. Mais, ce jour-là, Fontanet ne songeait pas à la vie publique.