Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/148

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un château du XVe siècle où j’entassai toutes les splendeurs de l’Orient.

Un jeudi, je rencontrai rue de Tournon mon voisin M. Ménage[1], qui revenait du musée du Luxembourg où il copiait pour vivre l’Appel des condamnés, grande toile sentimentale dont il se disait écœuré. Il se plaignit de la décadence des arts, poursuivit de ses invectives les philistins, ennemis nés du génie, vomit longuement la peinture chlorotique d’Ary Scheffer et, plein d’horreur et de dégoût pour le temps présent, jeta l’anathème sur la poésie, le roman et le théâtre bourgeois. À force de ruse et de patience, je parvins à ramener la conversation sur le théâtre et lui demandai s’il ne connaissait pas mademoiselle Isabelle Constant.

— Ah ! s’écria-t-il en souriant tout à coup, la petite Constant… C’est la fille du père Constant, le coiffeur de la rue Vavin ; tu vois d’ici sa boutique bleue, surmontée d’une boule d’or, d’où pend une queue de cheval. Dans une cage accrochée à une fenêtre de l’entresol sifflent les serins de la petite Constant, qui lui ressemblent par la gentillesse, le ramage et

  1. Voir le Petit Pierre, p. 120.