Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/158

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Desrais n’attirait nullement mon attention. Mais, dès la première répétition de géométrie que nous prîmes ensemble, j’éprouvai pour lui une amitié soudaine.

En soi, ces répétitions de géométrie n’étaient pas la chose du monde la mieux entendue. M. Mésange y faisait marcher de front Desrais qui préparait ses examens pour Saint-cyr et un apprenti géomètre qui n’eût point passé sans aide le pont aux ânes. Elles se donnaient dans une classe du grand collège, à l’heure du goûter : nous efforçant

De poursuivre une sphère en ses cercles nombreux,
Et du sec A plus B les sentiers ténébreux,

nous tracions des figures sur le tableau noir, et nous avalions avec notre pain et notre chocolat la poussière de la craie, tandis que, dans la salle voisine, M. Régnier, lauréat du conservatoire, donnait à La Berthelière et à Morlot une leçon de violon qu’on eût facilement prise pour un concert de chats et dont les charmes aigus plongeaient rapidement M. Mésange dans un sommeil profond et sonore. Respectant le repos du maître, Desrais échangeait avec moi des propos qui me ravissaient, je ne sais pourquoi.