Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/167

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non par lassitude et ennui d’être, mais parce que la vie m’apparaissait trop belle et trop charmante pour que je ne sentisse pas aussi du goût pour la mort, sa sœur et son amie, toujours enlacée à elle, et parce que je chérissais la nature jusqu’à vouloir m’anéantir dans son sein. Elle ne m’avait jamais été si douce. L’air coulait tiède et parfumé dans ma poitrine ; les souffles du soir me donnaient des caresses nouvelles et des frissons inconnus.

Pensant que je m’ennuyais, le père Gonse me prêta un vieux fusil et me conseilla de me distraire en abattant du gibier, si j’en trouvais. J’allai tirer les choucas qui nichaient dans les pierres du vieux château. J’en abattis un. Je le vis tomber, une aile immobile ; une de ses plumes flottait au-dessus de lui et le suivait lentement. En même temps, tous ces beaux oiseaux des ruines tournoyaient sur ma tête en poussant des cris aigus qui me perçaient l’oreille comme des malédictions. Je m’enfuis, atterré. Mon crime me faisait horreur. Je me jurai de ne plus jamais tuer un animal des airs ou des bois.

Je pris un Virgile que j’avais mis dans ma valise et le lus, le relus et le chantai en moi