Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/172

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dans cet affreux collège si un don, que j’ai gardé toute ma vie, ne m’avait sauvé, le don de voir le comique des choses. Mes professeurs Crottu, Brard et Beaussier m’ont, par leurs ridicules et leurs vices, donné la comédie. Ils me furent des Molières sans le savoir ; ils m’ont sauvé de l’ennui mortel ; je leur en garde une profonde reconnaissance.

Le fonctionnement très particulier de ma mémoire me rendait impropre aux études en commun. Au rebours de mes condisciples qui apprenaient vite et oubliaient aussi vite, je retenais lentement et gardais indéfiniment ce que j’avais retenu, en sorte que j’étais toujours savant trop tard. Somme toute, cette disposition m’a été salutaire, si elle m’a empêché de préparer ces examens, ces concours qui abîment le cerveau. Je lui devrais alors d’avoir gardé, à défaut d’autres qualités, la fraîcheur des idées. Assurément elle ne convenait point à un enseignement en masse qui s’adressait uniquement à la mémoire, à la mémoire machinale, et non à la mémoire esthétique, à cette divine Mnémosyne, qui enfante les Muses. Mais prenons garde ; peut-être, quand je parle ainsi, traîne-t-il dans mon âme un reste de rancune