Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/171

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rougissait et répandait sa lourde puanteur, tous mes sens étaient offensés, et c’est à travers de cruels dégoûts que j’entrevoyais la beauté ou la gloire, Cassandre levant au ciel des yeux ardents ou le triomphe de Paul-Émile. Aussi m’a-t-il fallu refaire plus tard mes études comme j’ai pu et rapprendre seul ce qu’on m’avait mal appris. Je dois dire, à l’excuse de mes maîtres, que je n’étais pas bien doué pour recevoir l’instruction publique et commune. Je n’étais pas moins intelligent que mes condisciples, j’étais peut-être plus intelligent que quelques-uns d’entre eux, mais mon intelligence était d’un tout autre ordre. Je comprenais certaines choses avec une force et une profondeur singulières pour mon âge tandis que d’autres choses, qui passaient pour faciles, ne pouvaient m’entrer dans l’esprit.

Ces inégalités ne se compensaient pas. Enfin, j’ai toujours été doux, mais d’une douceur farouche, et dès l’enfance, avide de solitude. La pensée d’une allée dans un bois, d’un ruisseau dans un pré me jetait sur mon banc dans des transports de désirs, d’amour et de regrets qui allaient jusqu’au désespoir.

Peut-être serais-je tombé malade de chagrin