Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/190

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paquet de leurs livres qu’ils emportaient ; j’abandonnai les miens à l’établissement.

Notre professeur ne fit pas sa classe. Il nous lut la distribution des Aigles, dans le Consulat et l’Empire de M. Thiers. Ainsi l’Université, pour couronner mes études, me fit connaître le plus mauvais écrivain de la langue française.

J’éprouvai une grande peine à la pensée que je ne verrais plus Mouron tous les jours. Je serrai sa petite main chaude avec une émotion dissimulée. Car j’étais dans l’âge où l’attendrissement le plus noble paraît une faiblesse indigne d’un homme. Ne comptant plus sur des séances académiques pour nous réunir, nous fîmes serment de nous revoir chez nos parents.

J’étais très malheureux au collège d’une façon à peu près constante, et je me promettais une grande joie de le quitter. Quand j’en sortis pour n’y plus rentrer, je fus déçu. Ma joie n’était ni aussi grande ni aussi franche que je me l’étais promis. C’était la faute d’un naturel faible et timide ; c’était aussi l’effet de cette odieuse discipline qui, s’exerçant sur toutes les pensées et tous les mouvements des élèves depuis l’enfance jusqu’à la jeunesse, les rend