Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incapables de jouir de la liberté et impropres à vivre dans le monde. Je le sentais, moi qui échappais tous les soirs à la contrainte des surveillants. Qu’était-ce donc pour les pensionnaires qui ne quittaient pas leur prison ? L’éducation en commun, telle qu’elle est donnée encore aujourd’hui, non seulement ne prépare pas l’élève à la vie pour laquelle il est fait, mais l’y rend inapte, si peu qu’il ait l’esprit obéissant et docile. La même discipline qu’on impose aux petits grimauds d’école devient pénible et humiliante quand des jeunes gens de dix-sept à dix-huit ans y sont soumis. L’uniformité des exercices les rend insipides. L’esprit en est abêti. Il est faussé par le système des punitions et des récompenses qui ne répond pas à ce qu’on va trouver dans la vie où nos actions portent en elles leurs conséquences bonnes ou mauvaises. Aussi, en quittant le collège, éprouve-t-on un embarras d’agir et une peur de la liberté. C’est tout cela que je sentais confusément ; et mon bonheur en était troublé.