Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/198

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pas suivi. Je ne connais rien de plus beau au monde que la vie d’un Claude Bernard et je sais des médecins de campagne dont l’existence me fait envie pour sa plénitude et sa bonté. Mon père exerçait sa profession avec un zèle rigoureux ; mais il ne la souhaitait pas pour moi.

Pendant le dîner je pris la résolution de faire mon droit ; mais seul, dans ma chambre, par le calme de la nuit, je me représentai avec force que la nature avare m’avait refusé le don précieux de la parole, que je n’avais su de ma vie improviser quatre mots et que, s’il y avait pour moi une chose à jamais impossible, c’était de prononcer une plaidoirie. Ne songeant, pour beaucoup de raisons, à me faire avoué, juge ou notaire, je reconnus que mes études de droit demanderaient à ma famille des sacrifices inutiles et je renonçai à approfondir les Institutes de Justinien et le Code Napoléon. Et, tout aussitôt, je regrettai de ne m’être pas préparé à Saint-Cyr. Il me paraissait beau d’être officier, à la condition expresse d’être l’officier d’Alfred De Vigny, magnanime et mélancolique. J’avais lu passionnément Servitude et Grandeur militaires et je me voyais avec admiration traversant la cour du quartier, à pas