Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/236

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surtout à oser les sacrifices nécessaires, si grands qu’ils soient.

De ses truculences, il ne lui restait plus que son feutre à la Rubens et ses pantalons à la hussarde. Maintenant, au déclin de la jeunesse, ayant perdu ses illusions, il souffrait d’une vie étroite et s’affligeait d’en être réduit, pour vivre, à faire de mauvaises copies mal payées. Pourtant, on lui trouvait encore ce je ne sais quoi de riant que la pratique de l’art donne aux moins heureux.

Il m’adressa son petit sourire amer et me dit :

— Et ta mère, mon petit Nozière, elle ne veut donc pas que je lui fasse son portrait ? Tâche de la décider.

Il demeura quelques instants à peindre en silence. Puis montrant du bout de sa brosse le panneau qu’il copiait :

— Ce crapaud-là (c’est Raphaël qu’il désignait ainsi) se donne un mal inouï pour cacher son travail. On ne voit nulle part la touche, on ne sent nulle part la main. Ce n’est pas de la peinture. C’est laqué, c’est gommé, c’est émaillé, ce n’est pas peint. On peut peindre lisse. Titien et Rubens lui-même très souvent