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qu’avec les laides, qui me faisaient horreur. Car j’estimais que le plus grand péché d’une femme est de n’être pas belle. Je remarquais que, dans le monde, beaucoup de jeunes gens, qui ne me valaient pas, plaisaient et réussissaient mieux que moi. Je ne m’en consolais pas, mais j’étais déjà assez sage pour n’en pas éprouver de surprise.

C’est en de telles circonstances que j’appris que la nature et la fortune ne m’avaient pas favorisé. Et mon premier mouvement fut de m’en plaindre. J’ai toujours cru que la seule chose raisonnable est de chercher le plaisir, et si vraiment, comme il me semblait, j’étais mal doué pour réussir dans cette recherche, j’avais, comme le roseau de La Fontaine, bien sujet d’accuser la nature. Mais je fis bientôt une découverte d’une grande conséquence : il n’est pas difficile de s’apercevoir si un homme est heureux ou malheureux. La joie et la douleur sont ce qu’on dissimule le moins, surtout dans la jeunesse. Or, après une observation rapide, je m’aperçus que mes camarades, plus beaux et plus fortunés que moi, n’étaient pas plus heureux, et même, en y regardant de plus près, je vis que l’existence m’apportait des satisfac-