Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/261

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fils de la Révolution, ne croyait pas continuer les grands seigneurs d’autrefois en tranchant et découpant lui-même les pièces.

C’était moins le rang que l’appétit qu’il considérait dans ses distributions. Il mettait les morceaux doubles pour les affamés et avait soin de verser une cuillerée de sang dans l’assiette des débiles et des convalescents. Magnifique et libéral pour tous, il envoyait les meilleurs morceaux à mademoiselle Élise Guerrier, pour qui il avait une préférence imperceptible et décidée. Il choisissait pour elle, dans la longe de veau, le morceau du rognon, et dans le rôti de porc la tranche la plus rissolée, et ses yeux riaient derrière ses lunettes d’or.

Et pour mieux faire paraître la noblesse et illustration des façons dont en usait mon parrain envers mademoiselle Élise Guerrier, élève lauréat du Conservatoire, je transcrirai ici ce que M. de Courtin écrivait à Paris au commencement du XVIIIe siècle dans son Nouveau Traité de la Civilité qui se pratique en France, parmi les honnestes gens :

« Comme le petit côté de l’aloyau est toujours le plus tendre, il passe aussi pour le plus recherché. Pour la longe de veau, elle se coupe