Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/310

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nant, ne périront jamais. Ce qui me plaisait le mieux dans le salon de madame Airiau, c’était madame Airiau, jolie sans éclat, mince, fine, causant bien, et qui m’avait témoigné de la sympathie. Or, un soir où j’allai chez elle, je trouvai, parmi quelques familiers de la maison, turcs, pour la plupart, une dame que je ne connaissais pas et à qui madame Airiau me présenta, la princesse Marie Bagration. Je la vis à peine, mes yeux étaient troublés ; je ne pus dire un mot. Je me sentis tout à coup le plus misérable des hommes. J’avais perdu en un moment l’usage de mes sens, toutes mes facultés, la possession de moi-même, la raison, à cause d’une femme dont je me sentais aussi éloigné que je pouvais l’être d’aucune autre créature humaine. Assez prompt d’ordinaire à saisir le détail d’une toilette, je vis seulement qu’elle était habillée de blanc et portait un collier de perles, qu’elle avait les bras nus, mais cela même ne m’était pas distinct. Son éclat, très doux, me la voilait. Peu à peu, je vis qu’elle avait les cheveux châtains assez foncés, les yeux noirs et or, le teint égal, et qu’elle était grande, d’une forme dégagée et pleine. Je frissonnai en entendant sa voix qui