Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/313

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présence. Je retrouvais tout d’elle : son petit front, qui rejoignait la racine du nez par une ligne presque droite, les disques des prunelles où nageait l’or fondu dans un ciel presque noir, les narines fières comme des ailes, les lèvres entr’ouvertes, rapprochant leurs deux arcs rouges pour le plus beau des baisers solitaires, le cou puissant et blanc, les seins écartés sur une poitrine large. Oui, je la haïssais pour avoir pris ma vie sans le savoir, pour ne rien me donner à la place qu’un fantôme, car je n’eus pas un moment l’illusion que je pourrais être quelque chose pour elle ; je sentais alors près des femmes une timidité dont je devais être long à me guérir ; mais ce n’était pas, devant celle-là, de la timidité que j’éprouvais, c’était de l’effroi, de l’épouvante, une horreur sacrée. Madame Airiau, quand je pris congé d’elle, me dit avec aigreur :

— Au revoir, monsieur. Et revenez-moi avec une autre figure.

Je m’aperçus alors que mon mal était plus grand que je ne croyais, que je le laissais paraître et portais en public les signes de mon égarement. J’étais accablé. Je le fus encore plus quand, en entrant dans ma chambre, qui