Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/321

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l’intimité de celle qui me recevait, sans même m’habituer à sa beauté que son éclat même me voilait. Mais cette femme, qui m’était si étrangère, quand je l’approchais, me devenait familière dès que j’étais hors de sa présence. Quand je pouvais m’échapper et fuir dans les bois qui entourent Versailles, je l’emmenais avec moi. Je puis le dire, car c’est bien vrai. Et enlacés l’un à l’autre, nous suivions les chemins secrets, ivres de joie et de douleur.

Un matin, je lus dans un journal :

« La princesse Marie Bagration est morte hier à minuit dans son domicile, rue Basse-du-Rempart. »

Le journal n’en disait pas davantage. Je connaissais trop peu celle qui s’en était allée pour pleurer sa perte, mais j’étais anéanti. C’était un écroulement, c’était la terre qui s’entr’ouvrait, engloutissant mon trésor, détruisant ce qui était pour moi toute la beauté du monde.

Je courus chez M. Viardot. Je le trouvai avec Cyrille Balachow, le pianiste.

— Cette mort ? m’écriai-je.

La voix de Cyrille fit écho :

— Cette mort !