Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/325

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vant pas en moi la cire molle où il imprimait sa pensée, il n’était pas flatté de communiquer ses idées à un grand dadais qui y opposait les siennes et quelquefois avec peu de mesure et pas assez de déférence. Cependant, un après-midi d’automne, nous entendîmes résonner son coup de sonnette impérieux et bref. M. Dubois entra. De grandes lunettes d’un bleu sombre lui cachaient les yeux. Il s’assit dans un fauteuil, ramena sur ses jambes les pans de sa longue redingote vert-bouteille et parla aussi magnifiquement qu’autrefois ; de sa bouche abondèrent « les paroles divines, comme en hiver la neige au sommet des collines ».

« Je pense, dit-il entre autres choses dignes d’être retenues, je pense, mon ami, que l’idée de progrès doit t’être familière. Aujourd’hui, elle est universellement répandue, et l’on pourrait s’étonner que cette idée ait prévalu dans une génération qui, par sa qualité inférieure, en prouverait moins qu’une autre la vérité. Mais le sentiment religieux, en s’affaiblissant de nos jours, a laissé se substituer insensiblement à l’idée de stabilité que commande le dogme, celle d’un progrès indéfini dans la liberté. Cette idée flatte les hommes et