Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/326

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c’est assez pour qu’ils la croient vraie. Toutes les idées acceptées unanimement par eux sont celles qui caressent leur vanité ou répondent à leurs espérances, les idées consolantes ; et il importe peu qu’elles soient fondées ou non. Voyons donc un peu le progrès dont tes contemporains ont la bouche pleine. Que faut-il entendre par ce mot ? Si nous le définissons en bon grammairien, nous dirons que c’est une augmentation en bien ou en mal, autant que nous pouvons discerner le bien du mal ; et ainsi, nous représentons la marche même de l’humanité. Mais si, comme on fait en ce temps où on ne sait plus ni penser ni parler, nous disons que c’est le mouvement de l’humanité qui se perfectionne sans cesse, nous disons quelque chose qui ne correspond pas à la réalité. On n’observe pas ce mouvement dans l’Histoire, qui ne nous retrace qu’une suite de catastrophes et des progressions toujours suivies de régressions. Les premiers hommes furent sans arts et misérables, sans doute, mais les progrès de leur postérité dans l’industrie amenèrent autant de maux que de biens et multiplièrent les souffrances et les misères de notre espèce en même temps que