Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/57

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cher un si grand et rare plaisir. Enfin j’étais résolu à faire l’école buissonnière. Cette manœuvre ne me délivrait de Crottu que pour un jour ; mais il y a des jours que l’on croit éternels, et non sans apparence, puisqu’ils nous font oublier le passé et l’avenir. Tout dans cette vieille rue, qui s’éveillait au soleil, m’était sourire et divertissement. Sans doute les choses, autour de moi, ne faisaient que refléter et me renvoyer la joie de mon cœur. Pourtant, on peut le dire sans crainte d’être accusé de louer le temps passé au détriment du présent, Paris était alors plus aimable qu’il n’est aujourd’hui. Les maisons y étaient moins hautes, les jardins plus fréquents. À chaque pas on voyait des arbres pencher sur de vieux murs leur cime bocagère. Les maisons, très diverses, se montraient chacune avec l’air de son âge et de sa condition. Plusieurs, qui avaient été belles au temps jadis, gardaient une grâce mélancolique. Dans les quartiers populeux, des chevaux de toute robe et de toute encolure, traînant fiacres, haquets, tapissières, cabriolets, égayaient la chaussée où les moineaux s’abattaient en troupes pour picorer le crottin. Et, à longs intervalles, un omnibus