Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/59

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et le goûtait tout naturellement. Prétendre qu’il prisait les belles proportions des hôtels qui dressaient leurs ordres classiques, leurs portiques et leurs frontons entre cour et jardin, ce serait trop dire ; mais il en prenait au passage, selon ses forces et ses besoins, comme de son propre bien ; et ce qu’il ne comprenait pas, il se savait prédestiné à le comprendre un jour. Faut-il être bien avancé en âge pour rêver d’un jardin défendu qui laisse apercevoir par une petite porte entre-bâillée quelques branches et des fleurs ? Faut-il être sorti de l’enfance pour s’émouvoir à la vue d’un vieux mur ? L’amour du passé est inné chez l’homme. Le passé émeut à l’envi le petit enfant et l’aïeule ; il n’en faut pour preuve que les contes de ma mère l’Oie, les contes du temps que Berthe filait, les fables du temps que les bêtes parlaient. Et si l’on cherche pourquoi toutes les imaginations humaines, fraîches ou flétries, tristes ou joyeuses, se tournent vers le passé, curieuses d’y pénétrer, on trouvera sans doute que le passé c’est notre seule promenade et le seul lieu où nous puissions échapper à nos ennuis quotidiens, à nos misères, à nous-mêmes. Le présent est aride et