Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/66

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Après quelques instants de silence, il ouvrit son cahier et traça maladroitement sur une page blanche une figure qui voulait être un triangle isocèle, et qu’il me montra en souriant.

— Vous voyez cela ?

— Oui, c’est un triangle.

— C’est un triangle, et c’est ma vie.

Lentement et comme à regret, il traça en partant de la base, entre les deux côtés égaux de ce triangle, des lignes parallèles à cette base, qui devenaient nécessairement de plus en plus courtes à mesure qu’elles se rapprochaient du sommet, et en les traçant il murmurait :

— Cinq ans… dix ans… douze, treize, quatorze, quinze, seize ans…

— Vous voyez, fit-il, comme cela diminue et comme cela finit.

Après un moment d’hésitation il toucha de la pointe de son crayon le sommet du triangle.

— Dix-sept ans ! On étouffe et c’est la fin.

Puis il ferma brusquement son carnet, releva la tête et dit avec force :

— Mais je guérirai. Je suis sûr de guérir. Les médecins croyaient que c’était la poitrine qui était prise. Ils se trompaient ; c’était le cœur. J’ai des palpitations. C’est le cœur.