Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/71

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barre invisible me frappa la poitrine et m’arrêta. Le grand silence n’était coupé que par le râle de la mourante. L’aînée des deux filles, la mère Séraphine, en costume religieux, le visage jaune comme une ancienne figure de cire, debout près du lit, tournait dans un verre une petite cuiller d’argent, grave et simple, bien au-dessus du commun et rendant d’humbles soins avec un calme ascétique, qui convenait à cette scène familière et solennelle. Thérèse, la cadette, bouffie d’insomnie et de larmes, ses cheveux blancs ébouriffés, les coudes sur les genoux, les poings dans les joues, affaissée, hébétée et douce, regardait sa mère. Je ne reconnaissais pas la chambre et rien pourtant n’y était changé, à cela près que des bouteilles, des fioles, des verres encombraient la table de nuit et le marbre de la cheminée. À gauche, le lit dont le haut bateau me cachait la mourante. Au-dessus, le bénitier dont la coquille était portée par deux anges de porcelaine coloriée, un crucifix et le portrait au pastel de Thérèse jeune et mince, coiffée de grandes coques brunes, en robe cannelle, à manches à gigot, qui lui faisait une « taille de sylphide ». Au fond, la fenêtre