Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/73

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— Eh ! là !… Jeannette. Eh ! là… Espérez un peu, ma mère ; faut que je ramène la vache à l’étable… on ne voit plus clair… Ma mère, je leur ai donné de la soupe aux pois et une omelette… Des braconniers, des braconniers !…

Elle se voyait enfant, dans son village.

— Ma mère, il fait noir. On n’y voit goutte. Je vas allumer la vue.

Elle prononçait la veue, nommant ainsi la petite lampe de forme antique pendue au foyer normand.

— Ma mère, je vas faire des crêpes de sarrasin pour le petit Pierre qui en est friand.

En l’entendant parler ainsi, ses deux filles firent un mouvement brusque. Pour moi, j’éprouvai une impression étrange et terrible à m’entendre ainsi mêlé à des êtres et des choses d’un autre âge.

Thérèse restait abîmée dans sa chaise trop basse. La mère Séraphine me reconduisit dans l’antichambre et me dit d’une voix tranquille :

— Elle avait toute sa connaissance quand elle a reçu les sacrements. Elle a été administrée par l’abbé Moinier. Le médecin ne nous avait laissé, dès le début, aucun espoir, et le