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reconnaître de bonne grâce cette affreuse condition et d’avouer que nous parlons de nous-mêmes chaque fois que nous n’avons pas la force de nous taire[1].

M. Brunetière, après avoir cité ces lignes, remarque tout de suite « qu’on ne peut affirmer avec plus d’assurance que rien n’est assuré ». Je pourrais peut-être lui répondre qu’il n’y a aucune contradiction, comme aucune nouveauté à dire que nous sommes condamnés à ne connaître les choses que par l’impression qu’elles font sur nous. C’est une vérité que l’observation peut établir, et si frappante que tout le monde en est touché. C’est un lieu commun de philosophie naturelle. Il n’y faut pas faire trop d’attention, et surtout il n’y faut pas voir de pyrrhonisme doctrinal. J’ai regardé, je l’avoue, plus d’une fois du côté du scepticisme absolu. Mais je n’y suis jamais entré ; j’ai eu peur de poser le pied sur cette base qui engloutit tout ce qu’on y met. J’ai eu peur de ces deux mots, d’une stérilité formidable : « Je doute ». Leur force est telle que la bouche qui les a une fois convenablement prononcés est scellée à jamais et ne peut plus

  1. La Vie littéraire, 1re série, p. iv.