Page:Anatole France - La Vie littéraire, III.djvu/23

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s’ouvrir. Si l’on doute, il faut se taire ; car, quelque discours qu’on puisse tenir, parler, c’est affirmer. Et puisque je n’avais pas le courage du silence et du renoncement, j’ai voulu croire, j’ai cru. J’ai cru du moins à la relativité des choses et à la succession des phénomènes.

En fait, réalités et apparences, c’est tout un. Pour aimer et pour souffrir en ce monde, les images suffisent ; il n’est pas besoin que leur objectivité soit démontrée. De quelque façon que l’on conçoive la vie, et la connût-on pour le rêve d’un rêve, on vit. C’est tout ce qu’il faut pour fonder les sciences, les arts, les morales, la critique impressionniste et, si l’on veut, la critique objective. M. Brunetière estime qu’on se quitte soi-même et qu’on sort de soi tant que l’on veut, à l’exemple de ce vieux professeur de Nuremberg dont M. Joséphin Péladan, qui est mage, nous a conté récemment l’aventure surprenante. Ce professeur, très occupé d’esthétique, sortait nuitamment de son corps visible pour aller, en corps astral, comparer les jambes des belles dormeuses à celles de la Vénus de Praxitèle. « La