Page:Anatole France - La Vie littéraire, III.djvu/24

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duperie, affirme M. Brunetière, la duperie, s’il faut qu’il y en ait une, c’est de croire et d’enseigner que nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes quand, au contraire, la vie ne s’emploie qu’à cela. Et la raison, sans doute, en paraîtra assez forte, si l’on se rend compte qu’il n’y aurait autrement ni société, ni langage, ni littérature, ni art. » Et il ajoute :

« Nous sommes hommes… et nous le sommes surtout par le pouvoir que nous avons de sortir de nous-mêmes pour nous chercher, nous retrouver et nous reconnaître chez les autres. »

Sortir, c’est beaucoup dire. Nous sommes dans la caverne et nous voyons les fantômes de la caverne. La vie serait trop triste sans cela. Elle n’a de charme et de prix que par les ombres qui passent sur les parois des murs dans lesquels nous sommes enfermés, ombres qui nous ressemblent, que nous nous efforçons de connaître au passage et parfois d’aimer.

En réalité, nous ne voyons le monde qu’à travers nos sens, qui le déforment et le colorent à leur gré, et M. Brunetière ne le conteste pas. Il s’appuie, au contraire, sur ces