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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/164

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LA VIE LITTÉRAIRE.

Sans être grand critique de soi-même, elle a quelque soupçon de ce qu’elle a fait, s’il est vrai, comme on le dit, qu’elle ait toujours montré la plus grande répugnance à voyager en Orient. Elle n’a pas vu la Chine et le Japon ; elle a fait mioux : elle les a rêvés et elle les a peuplés des enfants charmants de sa pensée et de son amour.

Son premier roman, je devrais dire son premier poème (car ce sont là vraiment des poèmes) est le Dragon impérial, un livre tout brodé de soie et d’or, et d’un style limpide dans son éclat. Je ne parle pas des descriptions qui sont merveilleuses. Mais la figure principale, qui se détache sur un fond d’une richesse inouïe, le poète Ko-Li-Tsin, a déjà ce caractère de fierté sauvage, d’héroïsme juvénile, de chevalerie étrange, que Judith Gautier sait imprimer à ses principales créations et qui les rend si originales. L’imagination de la jeune femme est cruelle et violente dans cette première œuvre, mais elle a déjà et définitivement cette chasteté fière et cette pureté romanesque qui l’honorent.

Peu après le Dragon impérial vint l’Usurpateur, qui dès son apparition fut emporté dans une grande faillite de librairie. Le public ne le connut guère. Et pourtant c’est une pure merveille, le chef-d’œuvre de madame Judith Gautier, et un chef-d’œuvre de notre langue. Il reparut plus tard, sous un titre qui convient, mieux à la splendeur charmante du livre, il s’appela la Sœur du Soleil. Je ne sais rien de comparable à ces pages trempées de lumière et de joie, où toutes les