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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/166

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LA VIE LITTÉRAIRE.

joyaux de cette reine de l’imagination. On aurait voulu peut-être que la pensée magnifique de madame Judith Gautier, comme la xMalabaraise de Baudelaire, ne vînt jamais dans nos climats humides et gris, qui ne sont point faits pour sa beauté rare. L’observation a été faite cent fois : cette danseuse, qui tout à l’heure, sur la scène, donnait à ses mouvements une grâce légère, un rythme, une volupté d’art qui était la poésie même et le rêve, voyez-la maintenant dans la rue : elle marche lourdement et son allure n’a rien qui la distingue de la foule obscure. Quand le poète du Dragon impérial et d’Iskender quitte le monde féerique de l’Orient qu’elle a rêvé, de son Orient où elle a mis son âme, quand elle entre dans les réalités de la vie moderne, elle perd dans nos brouillards sa grâce divine. Elle est encore un habile et rare conteur, mais adieu la poésie, adieu le charme ! Lucienne et Isoline, malgré tout leur mérite, sont bien loin de valoir la Sœur du Soleil et cette jolie Marchande de sourires, qu’on était si content d’admirer à l’Odéon.

II

On retrouve dans la Conquête du Paradis cette imagination héroïque et pure, ce je ne sais quoi de noble et de divinement enfantin qui fait le charme des romans de Judith Gautier.