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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/189

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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

mais à la propriété d’une situation dramatique, d’une combinaison romanesque, qui peut rapporter trente mille francs, cent mille francs et plus, à l’auteur, même médiocre, qui la met en œuvre.

Par malheur, le nombre de ces situations et de ces combinaisons est plus limité qu’on ne pense. Les rencontres sont fréquentes, inévitables. Peut-il en être autrement quand on spécule sur les passions bumaines ? Elles sont peu nombreuses. C’est la faim et l’amour qui mènent le monde et, quoi qu’on fasse, il n’y a encore que deux sexes. Plus l’art est grand, sincère, haut et vrai, plus les combinaisons qu’il admet deviennent simples et, par elles-mêmes, banales, indifférentes. Elles n’ont de prix que celui que le génie leur donne. Prendre à un poète ses sujets, c’est seulement tirer à soi une matière vile et commune à tous. Je suis également persuadé de la sincérité de M. Montégut qui se croit volé et de la surprise de M. Daudet, qui ne sait de quoi on l’accuse. M. Montégut se plaint. Le plaignant doit être écouté. Il trouvera des juges. Pour ma part, je me récuse, n’ayant point les pièces sous les yeux. Mais, si j’eusse été que lui, je n’aurais pas soufflé mot. Il accuse M. Daudet ; M. de Pontmartin, me dit-on, s’il était encore vivant, pourrait l’accuser à son tour, et il serait bien extraordinaire qu’on ne dénichât pas quelques douzaines de vieux conteurs obscurs pour montrer que M. de Pontmartin était lui-même un plagiaire. Je ne demande pas quarante-huit heures pour découvrir la situation de la mère généreuse qui s’accuse faussement dans vingt