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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/192

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LA VIE LITTÉRAIRE.

La littérature contemporaine n’est ni sans richesse ni sans agrément. Mais sa splendeur naturelle est altérée par deux péchés capitaux, l’avarice et l’orgueil. Avouons-le. Nous nous mourons d’orgueil. Nous sommes intelligents, adroits, curieux, inquiets, hardis. Nous savons encore écrire et, si nous raisonnons moins bien que nos anciens, nous sentons peut-être plus vivement. Mais l’orgueil nous tue. Nous voulons étonner et c’est tout ce que nous voulons. Une seule louange nous touche, celle qui constate notre originalité, comme si l’originalité était quelque chose de désirable en soi et comme s’il n’y avait pas de mauvaises comme de bonnes originalités. Nous nous attribuons follement des vertus créatrices que les plus beaux génies n’eurent jamais ; car ce qu’ils ont ajouté d’eux-mêmes au trésor commun, bien qu’infiniment précieux, est peu de chose au prix de ce qu’ils ont reçu des hommes. L’individualisme développé au point où nous le voyons est un mal dangereux. On songe, malgré soi, à ces temps où l’art n’était pas personnel, où l’artiste sans nom n’avait que le souci de bien faire, où chacun travaillait à l’immense cathédrale, sans autre désir que d’élever harmonieusement vers le ciel la pensée unanime du siècle.

En ce temps-là, M. Montégut n’aurait point porté de plainte, dans la confrérie, si M. Alphonse Daudet, son maître compagnon, lui avait emprunté, pour achever une figure de pierre, quelque pli de draperie. Mais aussi, dans ce temps-là, que d’insipides chansons, que de plats fabliaux et comme notre art individuel est, avec tous ses