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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/245

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BLAISE PASCAL ET JOSEPH BERTRAND.

fait d’importantes découvertes en physique, sans la moindre curiosité de pénétrer les secrets de la nature. Il ne s’intéresse qu’à ceux qu’il découvre et ne se soucie nullement de ceux que les autres ont découverts. Il écrit, d’après les extraits que ses amis lui font, un livre de circonstance qui ne devait pas survivre à la querelle de moines dont il traite et que la perfection de l’art rend immortel. Et il méprise fous les arts, même celui d’écrire, et il n’est pas un seul genre de beauté qui ne lui fasse horreur, comme un principe de concupiscence. Malade, sans sommeil, il jette, la nuit, sur des chiffons de papiers des notes pour une apologie de la religion chrétienne ; et ces notes qu’on publie après sa mort, suspectes aux catholiques, font depuis deux cents ans les délices des penseurs libres et des sceptiques. Si bien que cet apologiste est surtout publié et commenté par ses adversaires : Condorcet (1776), Voltaire (1778), Bossuet (1779), Cousin et Faugère (1842-1844), Havet (1852). Et c’est là, il faut en convenir un étrange génie et une bizarre destinée.

Il faut prendre garde d’abord que cet homme prodigieux était un malade et un halluciné. De l’âge de dix-huit ans à celui de trente-neuf auquel il mourut, il ne passa pas un jour sans souffrir. Les quatre dernières années de sa vie, nous dit madame Périer, « n’ont été qu’une continuelle langueur ». Son mal dont il sentait les effets dans la tête, intéressait les nerfs et produisait des troubles graves dans les fonctions des sens. Il croyait toujours voir un abîme à son côté gauche et il