Aller au contenu

Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
LA VIE LITTÉRAIRE.

semble par l’étrange amulette qu’on trouva cousue dans son habit qu’il vit parfois des flammes danser devant ses yeux.

Et si l’on songe que ce malade était le fils d’un homme qui croyait aux sorciers et en qui le sentiment religieux était très exalté, on ne sera pas surpris du caractère profond et sombre de sa foi. Elle était lugubre ; elle lui inspirait l’horreur de la nature et en fit l’ennemi de lui-même et du genre humain.

Il vivait dans l’ordure et s’opposait à ce qu’on balayât sa chambre. Il se reprochait niaisement le plaisir qu’il pouvait trouver à manger d’un plat, et, n’étant point indulgent, il ne pardonnait pas aux autres ce qu’il ne se pardonnait point à lui-même. « Lorsqu’il arrivait que quelqu’un admirait la bonté de quelque viande en sa présence, dit madame Périer, il ne le pouvait souffrir ; il appelait cela être sensuel. »

L’excès de sa pureté le conduisait à des idées horribles. Si madame Périer, sa sœur, lui disait : « J’ai vu une belle femme, » il se fâchait et l’avertissait de retenir un tel propos devant des laquais et des jeunes gens, de peur de leur faire venir des pensées coupables. Il ne pouvait souffrir que les enfants fissent des caresses à leur mère. Redoutant les amitiés les plus innocentes, il ne témoignait que de l’éloignement à ses deux sœurs Jacqueline et Gilberte, afin de ne point occuper un cœur qui devait être à Dieu seul. Pour la même raison, loin de s’affliger de la mort de ses proches, il s’en réjouissait quand cette mort était chrétienne. Il gronda madame