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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/249

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BLAISE PASCAL ET JOSEPH BERTRAND.

— Rien n’est moins fait pour surprendre. N’est-ce pas, au contraire, une conception bien spiritualiste que celle qui veut établir l’unité dans une intelligence humaine ? Pourquoi ne voulez-vous pas qu’un homme soit double, triple, quadruple ?

Il n’y a pas même besoin pour expliquer la foi de Pascal de recourir au cerveau à cloisons étanches et à l’homme double. Pascal raisonnait tout ce qui lui semblait du domaine du raisonnement, et jamais homme ne fit de la raison un plus violent usage. Il ne raisonnait pas de Dieu, ayant tout de suite connu que Dieu n’est pas sujet au raisonnement. Il ne donna pas sa créance à Dieu. Cela lui eût été bien impossible. Il lui donna sa foi, ce qui est tout autre chose que de donner sa raison : les mystiques et les amoureux le savent ; il lui donna son cœur. Il le lui donna comme le cœur se donne, sans raisonner, sans savoir, sans vouloir ni pouvoir aucunement savoir. Les œuvres des mystiques, et tout particulièrement les méditations de sainte Thérèse, éclairciraient assez ces difficultés psychologiques. Mais, par une singularité dont je parlais tout à l’heure, les commentateurs de Pascal sont le plus souvent des philosophes qui n’étudient guère les mystiques. Aussi le croient-ils unique et singulier, faute de pouvoir le réunir à sa grande famille spirituelle.

En définitive, ce ne sont pas les moins bien avisés, ces fidèles qui, comme Pascal, n’appellent jamais leur raison au secours de leur foi. Une telle aide est toujours périlleuse. Chez Pascal, la raison, qui était formidable,