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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/253

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MAURICE BARRÈS.

qui passent pour respectables parmi les hommes y sont moqués avec douceur, et M. Maurice Barrès est incomparable pour la politesse avec laquelle il offense nos pudeurs ; je le tiens un rare esprit et un habile écrivain, mais je ne me fais pas du tout son garant auprès du chaste lecteur.

J’eus pour professeur, en mon temps, un prêtre très honnête, mais un peu farouche, qui punissait les fautes des écoliers non pour elles-mêmes, mais pour le degré de malice qu’il jugeait qu’on y mettait. Il était indulgent à l’endroit des instincts et des mouvements obscurs de l’âme et du corps, et il y avait parmi nous des brutes à qui il passait à peu près tout. Au contraire, s’il découvrait un péché commis avec industrie et curiosité, il se montrait impitoyable. L’élégance dans le mal, voilà ce qu’il appelait malice et ce qu’il poursuivait rigoureusement. Si jamais M. Maurice Barrès éprouve le besoin de se confesser, comme déjà M. Paul Bourget le lui conseille, et qu’il tombe sur mon théologien, je lui prédis une pénitence à faire dresser les cheveux sur la tête. Jamais écrivain ne pécha plus tranquillement, avec plus d’élégance, plus d’industrie et de curiosité, par plus pure malice que l’auteur du Jardin de Bérénice.

Il n’a point d’instincts, point de passions. Il est tout intellectuel, et c’est un idéaliste pervers.

Retournant un mot fameux de Théophile Gautier, il a dit de lui-même : « Je suis un homme pour qui le monde extérieur n’existe pas. « Ce qui doit s’entendre au sens métaphysique, et si on lui fait remarquer qu’il a tracé çà et là de bien jolis paysages, il répondra qu’il