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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/254

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LA VIE LITTÉRAIRE.

les a vus en lui et qu’ils marquaient les états de son âme. Il a dit encore : « La beauté du dehors jamais ne m’émut vraiment. » Et c’est un aveu de perversité intellectuelle. Car il y a de la malice à ne point aimer les choses visibles et à vivre exempt de toute tendresse envers la nature, de toute belle idolâtrie devant la splendeur du monde. M. Maurice Barrès nous répond encore ; « Il n’y a de réalité pour moi que la pensée pure. Les âmes sont seules intéressantes. » Ce jeune dédaigneux qui a méprisé l’instinct et le sentiment, est-il donc un spiritualiste, un mystique exalté ? Quelle philosophie ou quelle religion lui ouvre les demeures des âmes ? Ni religion ni philosophie aucune. Il ne croit ni n’espère. Il entre dans l’empire spirituel sans appui moral. Voilà encore de la perversité. Son jeune maître, M. Paul Bourget, qui tente de le catéchiser un peu, lui disait naguère : « Anxieux uniquement des choses de l’âme, vous n’acceptez pas la foi, qui seule donne une interprétation ample et profonde aux choses de l’âme. » Et M. Paul Bourget prêche d’exemple : il se spiritualise beaucoup en ce moment, me dit-on, au soleil de cette blonde Sicile qui n’est plus païenne.

Cependant, il ne faut pas s’imaginer que M. Maurice Barrès erre absolument sans règle et sans guide dans les corridors de la psychologie. Cet homme curieux n’est pas tout à fait impie, encore qu’il le soit beaucoup. Je disais qu’il n’a point de religion. J’avais tort. Il en a une, la religion du MOI, le culte de la personne intime, là contemplation de soi-même, le divin égotisme. Il s’ad-