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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/255

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MAURICE BARRÈS.

mire vivre, et c’est un bouddha littéraire et politique d’une incomparable distinction. Il nous enseigne la sagesse mondaine et le détachement élégant des choses. Il nous instruit à chercher en nous seuls « l’internelle consolation » et à garder notre moi comme un trésor. Et il veut que cela passe pour de l’ascétisme, et qu’il y ait de la vertu à défendre le moi avec un soin jaloux contre les entreprises de la nature. Un Français qui fut élevé en Allemagne et qui y resta homme d’esprit, Chamisso, a écrit un conte d’un sens profond. On y voit qu’il est criminel de vendre non pas seulement sa pensée, mais même son ombre. M. Maurice Barrès est pénétré de la vérité de ce symbole : il nous avertit qu’il faut se garder, s’appartenir, demeurer stable dans l’écoulement des choses, se réaliser soi-même obstinément dans la diversité des phénoménes, et, fût-on seulement une vaine ombre, ne vendre cette ombre ni à Dieu, ni au diable, ni aux femmes.

C’est là une morale, et une morale considérable, une vieille morale. Guillaume de Humboldt la professait et la pratiquait. Selon lui, le principe des mœurs est que l’homme doit vivre pour lui-même, c’est-à-dire pour le développement complet de ses facultés.

Je crois avoir assez bien compris l’évangile du jeune apôtre. M. Barrès semble nous dire : Homme, je suis le rêveur du rêve universel. Le monde est le grain d’opium que je fume dans ma petite pipe d’argent. Tout ce que je vous montre n’est que la fumée de mes songes. Je suis le meilleur et le plus heureux de tous. La sagesse de mes frères d’Occident est vraiment incer-