Aller au contenu

Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
MAURICE BARRÈS.

de concentrer son moi dans d’élégants romans psychiques tels que l’Homme libre et le Jardin de Bérénice. Il agit, il institue des expériences. Je ne crois pas le fâcher en disant que sa candidature heureuse à la députation fut une de ces expériences de scepticisme pratique, et que le député de Nancy est un essayiste en action.

Doutons de tout, je le veux bien. Mais le doute ne change pas les conditions de la vie.

Sceptiques et croyants, nous sommes soumis impérieusement aux mêmes nécessités, qui sont les nécessités de l’existence. Cette nuit même, une des premières nuits douces de l’année, en finissant de lire votre livre, mon cher Barrès, j’ouvris ma fenêtre, je regardai les étoiles qui tremblaient dans le ciel allégé de ses brumes d’hiver. Et le mystère de ces brillantes inconnues me troubla une fois de plus et aussi amèrement que jamais, car je venais de faire une lecture qui n’était pas consolante. Et je songeai : peut-être que la vie telle que nous la voyons et telle que nous la concevons ici-bas, la vie organique, celle des bêtes et des hommes, n’est qu’un accident tout à fait particulier à ce petit monde insignifiant que nous appelons la terre. Peut-être que cette infime planète s’est gâtée, pourrie, et que tout ce que nous y voyons et nous-mêmes n’est que l’effet de la maladie qui a corrompu ce mauvais fruit. Le sens de l’univers nous échappe totalement ; nous sommes peut-être des bacilles et des vibrions en horreur à l’ordre universel. Peut-être… Mais, comme dit Martin, qui était un sage, cultivons notre jardin. Il ne s’agit point d’expérimenter la vie. Il faut la