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LA VIE LITTÉRAIRE.

les gestes, avec une rapidité et une précison d’appareil photographique, et doué d’une pénétration, d’un sens de romancier naturel comme un flair de chien de chasse, il emmagasinait du matin au soir des renseignements professionnels.

Mais, avec tout cela Michèle de Burne est-elle tout ce qu’il voulait qu’elle fût, est-elle le type de la femme d’aujourd’hui ? J’avoue que je serais curieux de le savoir. Je vois bien qu’elle est moderne par ses bibelots et ses toilettes et par la petite horloge de son coupé, encore que l’héroïne du roman parallèle de M. Paul Bourget ait pris soin de faire venir la sienne d’Angleterre. Je vois bien qu’elle s’habille chez D…, comme les actrices du Gymnase et les femmes de la haute finance, et je n’oserais pas la chicaner sur cette ceinture d’œillets, cette guirlande de myosotis et de muguets, et ces trois orchidées sortant de la gorge qui, entre nous, me semblent le rêve d’une perruche de l’Amérique du Sud plutôt que l’industrie d’une femme née sur le bord de la Seine, « au vrai pays de gloire ». Mais ce sont là des sujets infiniment délicats et beaucoup plus difficiles pour moi que la couleur et le tissu du style. Je vois — et c’est un grand point — que par ces robes « emplumées » dont elle était prisonnière, ces robes gardiennes jalouses, barrières coquettes et précieuses », qu’elle porte jusque dans le petit pavillon des rendez-vous, madame de Burne rappelle la Paulette de Gyp et cette madame d’Houbly dont la robe était fermée par soixante olives sous lesquelles passaient autant de ganses,