Aller au contenu

Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
LA JEUNESSE DE M. DE BARANTE.

elle, à Paris, et où elle avait crayonné une phrase comme celle-ci : « Sortez, cachez-vous dans l’escalier et remontez quand Mole sera parti. » Sans doute cela ne veut rien dire et le billet peut s’expliquer de bien des manières. Mais aussi on nous avait trop parlé de la sainteté de madame Récamier, et cela nous amuse maintenant de surprendre son manège. Ces lettres, si on les publie, et on les publiera, ne livreront pas le secret de Julie. Un doute subsistera. Mais on saura du moins que la divine Julie était plus sensible qu’on ne l’a dit. On saura qu’elle avouait sa faiblesse réelle ou feinte à un très jeune homme, plus jeune qu’elle de cinq ans. Et elle ne sera plus tout à fait celle que Jules de Concourt appelait si joliment la Madone de la conversation.

Tous les témoignages s’accordent à reconnaître que M. de Barante était dans sa jeunesse très séduisant. On dit que le charme d’un homme est toujours le don de sa mère et qu’on reconnaît à leur grâce les fils des femmes supérieures. Je n’en jurerais pas ; mais il semble bien que la mère de Prosper de Barante ait été une créature d’élite. Telle que son fils nous la montre, elle est admirable d’esprit et de cœur. Elle écrivait pour ses enfants des extraits d’histoires, des géographies en dialogue et des contes. Quand, sous la Terreur, son mari, ancien lieutenant criminel à Riom, fut arrêté et conduit à Thiers, elle alla le rejoindre, à cheval, bien qu’elle fût à la fin d’une grossesse, et elle accoucha le lendemain. À peine relevée de couches, elle courut à Paris et sollicita du Comité de salut public la liberté de son mari et l’obtint