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LA VIE LITTÉRAIRE

point de religion d’État, prétendent nous imposer une histoire d’État, ce qui serait une grande nouveauté. Car cela n’existait pas même sous l’ancien régime, et, s’il n’était pas permis alors de toucher à la loi sahque, d’oii dépendait, après tout, l’unité nationale, on pouvait du moins juger la conduite des princes après leur mort et dire, avec Bossuet, que Philippe le Bel avait écrasé le peuple d’impôts, que Louis XI s’était montré superstitieux, défiant, injuste et cruel, que Charles IX fut d’un naturel dur, féroce, dissimulé. Il semble que nous ayons le droit de juger Robespierre avec la même liberté que Bossuet jugeait Charles IX. Et l’on s’étonnerait que l’usage de ce droit pût irriter quelques esprits si l’on ne savait que l’intolérance est de tous les temps.

Il n’est point de religion qui n’ait eu ses fanatiques. Aussi est-il naturel, à tout prendre, que le culte de la Révolution ait les siens, comme tous les autres cultes.

Nous sommes tous enclins à l’adoration. Tout nous semble excellent dans ce que nous aimons, et cela nous fâche quand on nous montre le défaut de nos idoles. Les hommes ont grand’peine, en général, à mettre un peu de critique dans les sources de leurs croyances et dans l’origine de leur foi. Aussi bien, si l’on regardait trop aux principes, on ne croirait jamais. L’autre jour, au Palais-Bourbon, je ne sais quel député radical écoutait impatiemment notre confrère, M. Henry Fouquier, qui, trop subtil pour lui, distinguait entre 89 et 93. Bientôt notre radical n’y put tenir et s’écria : « La Révolution est un bloc, qu’il faut prendre tout entier. » Parole simple et profondément religieuse ! Celui qui la