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LA VIE LITTÉRAIRE

Il faut beaucoup pardonner aux prophètes, notamment à l’endroit de la mesure et du goût. C’est un fait qu’ils parlent des vices des peuples avec des figures qui ne seraient point tolérées chez des écrivains moins inspirés. Quand il voit Nana en pantalon parmi les princes du peuple, M. Zola prophétise. C’est ce qui explique sa manière violente.

Cette fois encore, ayant surpris la baronne Sandorf trompant M. le procureur général avec le financier Saccard, il est tombé en crise prophétique ; il a eu une vision flamboyante. Ceux qui n’entendent rien au prophétisme ont été choqués de ses paroles, faute de savoir qu’elles étaient sublimes. Et il est vrai que, si elles n’étaient sublimes, elles seraient bien inconvenantes.

À cela près, le nouveau roman de M. Zola est une œuvre massive et lourde, mais solide, mais forte, didactique, encyclopédique et d’un grand sens. Tout le monde de l’argent, banquiers, agents de change, courtiers, remisiers, spéculateurs, y est étudié avec méthode. Je ne saurais trop dire si la peinture est exacte dans tous ses détails, ayant fort peu l’habitude des affaires. Mais d’ensemble le tableau semble vrai. Il est vaste, mouvant, animé, plein de vie. Sans doute, on y sent le procédé. On y retrouve les longues énumérations auxquelles M. Zola nous a habitués et les retours réguliers des mêmes formes de langage qu’on a comparées aux phrases-thèmes de Wagner. Le style, de plus en plus simple, est épaissi et négligé. Mais une puissance extraordinaire anime cette lourde machine.

Bien que fort opposé à toute métaphysique et nullement enclin à l’abstraction, M. Émile Zola a d’instinct une philosophie. Il professe une sorte