Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
L’ARGENT

de naturalisme religieux et, ainsi qu’il l’a dit lui-même, « une tranquille croyance aux énergies de la vie ». Sans guère sortir de sa brutalité triste, il montre çà et là des contentements sourds et fait entendre des murmures de satisfaction pareils à des grognements. Il me fait penser au Caliban de Shakespeare qui marchait courbé, le nez contre terre, mais qui portait sur ses reins des fardeaux énormes dont le délicat Ariel eût été sans faute écrasé, et qui se réjouissait confusément de la chaleur du soleil et de la bonté des fruits sauvages.

M. Zola aime la nature, comme le fils de Sycorax aimait son île, d’un amour morose, obscur et profond. Il a une sorte d’optimisme morne et stupide qui n’est ni sans grandeur, ni sans beauté, l’optimisme animal. Cet homme exprime puissamment le consentement de l’instinct aux lois universelles. Il est en harmonie avec l’infinité des forces aveugles qui entretiennent la vie dans l’univers ; toutes les âmes ténébreuses des bêtes et des hommes sauvages, qui ont voulu vivre, semblent atteindre en lui une demi-conscience. Il a souvent décrit, et toujours de la façon la plus expressive, la joie profonde qui résulte de l’appropriation parfaite de l’organe à sa fonction.

Cette fois, la joie de vivre est surtout amassée en madame Caroline, qui est une belle et bonne créature. Ses précoces cheveux blancs font ressortir la fraîcheur de son teint. Elle éclate de jeunesse et de santé. Elle est prudente et sage. S’il lui arrive un jour de se trouver, par mégarde, dans les bras d’un homme auquel elle n’avait pas fait attention jusque-là, c’est l’effet de sa bonne mine et de sa belle santé et en vertu, sans doute, du grand principe qui a