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LITTÉRATURE SOCIALISTE

bientôt pour elles une mode, comme sous Louis XVI les économistes et les perroquets. Vous verrez qu’elles inviteront à leurs dîners les orateurs des réunions publiques. Et les orateurs iront, parce qu’en dépit de leur barbe farouche et de leurs maximes ils sont faibles et qu’un homme, même s’il est socialiste, résiste mal aux sourires des femmes. En attendant, on est socialiste au Chat-Noir, et cela seul est un signe des temps. Chaque soir, dans ce cabaret élégant, les ombres chinoises de M. Maurice Donnay, d’abord occupées à poursuivre d’une raillerie douce et presque caressante la poésie des décadents et les vices à la mode, s’en vont tout à coup, d’un pas joyeux et fier, célébrer la fête du travail, la paix universelle et la fédération des peuples. C’est sur le Champ-de-Mars, témoin jadis d’autres espérances cruellement trompées, que l’Aristophane du Chat-Noir élève, aux sons d’une musique éclatante, le palais symbolique des travailleurs. Et tout aussitôt il nous montre la vieille église de Notre-Dame dans une gloire de lumière, afin, sans doute, de réconcilier l’ancien monde avec le nouveau et d’unir le mysticisme au socialisme en une apothéose selon le cœur de M. de Mun.

Vous voyez qu’on retrouve au Chat-Noir toutes les idées et tous les rêves du temps, même l’alliance du socialisme et de l’Église.

Ce sont là, ce me semble, les premières élégances poétiques et mondaines du socialisme. Car on ne tiendra pas pour élégantes ni mondaines les poésies de J. Allemane, de Jules Guesde, ni même de chansons de J.-B. Clément, non plus que quelques strophes enflammées de Louise Michel.

M. Allemane, chef des allemanistes, ouvrier typo-

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